A l’occasion de trois savoureux arrêts, le Conseil d’Etat vient de trancher la curieuse question de savoir si les cultes peuvent bénéficier de subventions publiques favorisant le développement des énergies renouvelables.
L’ADEME et le Conseil Régional de Bourgogne avaient invoqué la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour refuser de subventionner des abbayes de moines bénédictins souhaitant financer une chaufferie-bois.
Considérant que les chaudières à bois ne sont pas destinées au culte, le Conseil d’Etat annule les refus de subventions (CE, 26 novembre 2012, req. n° 344.284, 344.378 et 344.379).
Il est donc permis de subventionner de associations ayant des activités cultuelles pour les convertir aux énergie renouvelables. Décryptage.
i. Le principe de laïcité : La République ne peut pas subventionner les cultes
Le principe de laïcité, qui est une spécificité française, est un fondement essentiel de la République. A défaut de définition dans la Constitution, il est inscrit dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.
Les principes de la loi de 1905 sont strictes :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » (article 1er)
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) » (article 2)
De même, à l’exception des sommes allouées pour la réparation des édifices affectés au culte public, l’Etat, les département et les communes ne peuvent pas subventionner sous quelque forme que ce soit les associations cultuelles (article 19).
C’est dans ce contexte que l’ADEME, d’une part, et le Conseil régional de Bourgogne d’autre part ont été amenés à rejeter les demandes de trois abbayes de moines bénédictins souhaitant bénéficier du programme de subvention « plan bois-énergie 2000-2006 », destiné à développer la production et l’utilisation d’énergie renouvelable dans le cadre d’aide à l’installation de chaudières à bois collectives.
Les moines ont porté l’affaire devant les tribunaux, jusque devant le Conseil d’Etat qui, à l’occasion de cette procédure, fixe les limites aux principes de la loi de 1905.
ii. Quelles limites à la loi de 1905 ?
Avant de répondre à la question posée, le Conseil d’Etat fixe les limites de l’interdiction de subvention sous quelque forme que ce soit aux associations cultuelles.
1. Il est interdit à l’Etat, à ses établissements publics et aux collectivités locales « d’apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l’exercice d’un culte »
2. Ces mêmes acteurs publics « ne peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la même loi, a des activités cultuelles, qu’en vue de la réalisation d’un projet, d’une manifestation ou d’une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n’est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n’est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l’association » (CE, 26 novembre 2012, req. n° 344.284, 344.378 et 344.379).
Ainsi, selon les principes fixés par la jurisprudence, les personnes publiques peuvent subventionner des associations, quand bien même elles ont des activités cultuelles, dans les conditions cumulatives suivantes :
– le projet ne présente pas un caractère cultuel et n’est pas destiné au culte ;
– il présente un intérêt public ;
– un contrat garanti que la subvention sera exclusivement affectée au financement dudit projet.
iii. Les énergies renouvelables : nouvelle pierre angulaire de la République ?
Le Conseil d’Etat en déduit qu’une communauté de moines bénédictins peut bénéficier du programme de subvention « plan bois-énergie 2000-2006 » de l’ADEME, destiné à développer la production et l’utilisation d’énergie renouvelable dans le cadre d’aide à l’installation de chaudières à bois collectives.
En effet, une chaufferie-bois ne présente pas un intérêt cultuel et n’est pas destinée au culte.
On peut donc en déduire que le juge administratif apprécie le critère de la non-destination au culte de manière directe et pas indirecte (ou en langage plus juridique, selon la théorie de la causalité adéquate et non celle de l’équivalence des conditions).
L’histoire ne dit cependant pas si la chaufferie est destinée à alimenter une brasserie artisanale ni si le chauffage est contraire aux vœux de chasteté et de pauvreté inscrits dans la règle de Saint Benoit, patriarche des moines d’Occident.
En définitive, il est permis de subventionner de associations ayant des activités cultuelles pour les convertir aux énergie renouvelables.
Du point de vue des EnR, ces subventions permettent de combattre le « culte » des énergies fossiles et du nucléaire. Voilà qui pourrait par exemple réconcilier les clochers et les éoliennes.