Ecogisements a bien voulu m’interviewer à propos de l’actualité de la procédure de sortie de statut de déchet.
Ecogisements : La procédure de sortie du statut de déchet change-t-elle réellement quelque chose pour les recycleurs ? Beaucoup n’ont pas attendu l’évolution réglementaire pour développer leurs activités.
Carl Enckell : Il faut prendre en compte trois catégories de recycleurs. Il y a ceux qui n’ont pas attendu une évolution réglementaire. Ils faisaient déjà du recyclage et ça marche. Je pense par exemple aux professionnels du verre et des métaux ferreux. Ceux-là le font parce qu’il y économiquement a un marché. Quelle que soit donc la qualification donnée au produit, il y a des gens prêts à acheter les matériaux.
Il y a en d’autres pour qui il y a un véritable obstacle juridique. C’est le cas par exemple des professionnels des chaufferies à bois. Pour pouvoir mettre du bois recyclé dans des chaufferies, il a fallu passer par la procédure de sortie de statut de déchet afin que ce bois n’ait plus la qualification de déchet. Il y a d’autres professionnels qui sont dans le même cas de figure, notamment ceux qui essaient de développer les CSR (combustibles solides de récupération).
Il y a une troisième catégorie qui est un peu plus intermédiaire : les professionnels du traitement des déchets qui souhaitent développer un business model et pour qui les choses ne sont pas encore économiquement stabilisées. Ils sont concurrencés par le prix des matières premières. Ce sont par exemple les professionnels du granulat du BTP qui sont en concurrence avec granulat naturel de carrière. La reconnaissance du statut juridique de produit constituerait pour eux un avantage psychologique et concurrentiel pour rattraper le retard qu’ils ont sur les matériaux naturels.
Ecogisements : Votre cabinet d’avocats a accompagné le consortium des professionnels de l’emballage en bois dans sa procédure de sortie du statut de déchet. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?
Carl Enckell : Pour les emballages en bois, on a effectivement assuré la mission à maîtrise d’ouvrage juridique qui a duré une bonne année. Le principal enjeu était de réunir tous les demandeurs de la procédure. Il a fallu mettre d’accord tous les acteurs de la filière : les chaufferies, les papeteries, les professionnels du bois… Ils ont dû parler entre eux pour harmoniser leur position.
Un autre enjeu a été de convaincre le ministère de l’intérêt de la démarche qui était à cette époque encore une première en France. Il a donc fallu trouver un juste milieu entre l’excès de précautions et l’opérabilité du dispositif.
Ecogisements : Un seul dossier a abouti en deux ans. La procédure serait-elle plus compliquée qu’elle n’en a l’air ?
Carl Enckell : Le fait que les entreprises ont l’initiative est très commun en droit de l’environnement industriel. On est à cheval entre l’autorisation individuelle et la réglementation globale puisque l’arrêté de sortie de statut de déchet peut bénéficier à toutes les entreprises qui se conformeraient à son contenu. Il y a donc quelque chose d’innovant dans cette procédure que j’apparenterais à de la corégulation.
On est ici dans un dispositif collectif puisqu’un arrêté ministériel va bénéficier à tous les acteurs intéressés, mais qui est principalement élaboré dans un processus où l’administration vient valider les propositions soumises. C’est assez nouveau. Aussitôt l’arrêté adopté, les contrôles ne seront en outre pas effectués par les DREAL (Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) mais bien par des standards de qualité de type ISO, c’est-à-dire des certificateurs privés. Ca a pris du temps à mettre en place car il s’agit d’un dispositif innovant auquel on n’est pas habitué en France.
Ecogisements : Cela nécessite donc de nombreux contacts avec les autorités ?
Carl Enckell : Oui, beaucoup de réunions. D’autant plus que le ministère de l’Environnement associe à ses décisions des organismes experts : des représentants des douanes, des chargés de l’environnement, des associations de protection de l’environnement… Cela implique une instruction en présence de ces membres. Il faut donc faire la synthèse entre leurs différentes expertises et les différentes positions qu’ils peuvent exprimer. Le ministère travaille un peu sous la pression de ces différents acteurs.
Ecogisements : La sortie du statut de déchet est initialement prévue par la directive cadre européenne de 2008. Quel regard portez-vous sur les mécanismes adoptés par nos voisins européens ?
Carl Enckell : Quand on s’intéresse en France à la mise en œuvre de ce mécanisme, il est très important de faire du benchmarking juridique en regardant ce que font les voisins. Il y a des Etats membres qui fonctionnent différemment. Je dirais que la France se retrouve dans le milieu de la classe européenne. Le dispositif français est par exemple plus complexe que le dispositif anglais.
On peut en plus observer au niveau européen que les enjeux qui intéressent la Commission européenne en matière d’harmonisation des démarches de sortie du statut de déchet ne sont pas tant liés à l’environnement qu’à la libre concurrence. Que se passerait-il si un Etats décidait que certains déchets ne seraient plus des déchets chez lui, mais que ce ne serait pas le cas dans un Etat voisin ? Cela aurait des répercussions sur les transports transfrontaliers.