Après la décision du Conseil constitutionnel érigeant la protection de l’environnement au rang d’objectif à valeur constitutionnelle, ou encore la jurisprudence Commune de Grande-Synthe du Conseil d’Etat par laquelle il énonce que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) inscrit dans l’article L.100-4 du code de l’énergie a une portée normative contraignante, la décision rendue par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 ci-commentée, s’inscrit dans les lignes tracées par ces deux juridictions.
Les demandes
Plusieurs associations (Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la nature et l’Homme, Greenpeace France) ont demandé réparation au titre des préjudices moral et écologique résultant des carences de l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique. Elles ont également demandé de stabiliser les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui permette de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels.
Elles soutiennent que la méconnaissance par l’Etat français de son obligation générale de lutte contre le changement climatique, telle qu’elle résulte de ses engagements internationaux et d’objectifs fixés par l’Union européenne, serait constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité.
Le lien de causalité entre ces fautes et l’aggravation du changement climatique étant établi, dans la mesure où le comportement de l’Etat est l’une des causes déterminantes des dommage causés à l’environnement et à la santé, les quatre associations précitées ont demandé la réparation symbolique de leur préjudice moral et écologique (1 euro) et surtout que le juge enjoigne au Premier ministre et aux ministres compétents d’agir.
Le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 février 2021
En premier lieu, le tribunal reconnaît l’intérêt à agir des quatre associations ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement.
Ensuite, le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes est reconnu par le juge. En effet, selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et les travaux d’observatoires rattachés à différents ministères de l’Etat français, l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre est responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques.
S’agissant de la responsabilité de l’Etat au titre du préjudice écologique et de sa carence, le tribunal administratif rappelle les obligations conventionnelles, législatives et réglementaires que l’Etat s’est fixé pour lutter contre le changement climatique, avant de déclarer qu’en prenant de tels engagements assortis d’échéances précises, il se reconnaît « la capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes » (point 22).
Selon le tribunal administratif, les objectifs que l’Etat s’est fixé en matière (i) d’amélioration de l’efficacité énergétique et (ii) d’augmentation de la part des énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale brute d’énergie n’ont pas été respectés, et « cette carence a contribué à ce que l’objectif de réduction des émissions de GES ne soit pas atteint » (point 24).
Néanmoins, ces deux éléments ne constituant qu’une des politiques sectorielles mobilisables dans le domaine environnemental, ils ne peuvent être regardés comme ayant contribué directement à l’aggravation du préjudice écologique dont les associations requérantes demandent réparation. De plus, les associations requérantes ne démontrent pas que l’insuffisance des objectifs que se fixe la France pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C seraient directement à l’origine du préjudice écologique invoqué, de sorte que leurs conclusions sont écartées sur ce point.
En revanche, en ce qui concerne l’objectif de réduction des émissions de GES, la France a substantiellement dépassé le premier budget carbone qu’elle s’était assignée pour la période 2015-2018, de 3,5%. L’Etat n’a donc pas réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions précitées, et le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée aggrave ainsi le préjudice écologique évoqué par les requérants (point 31). Sur ce point seulement, l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice écologique constaté.
Notre analyse
Par cette décision, le tribunal administratif de Paris fait preuve de prudence. Malgré la reconnaissance d’une aggravation du préjudice écologique par l’Etat du fait du dépassement du budget carbone qu’il s’est fixé, aucune injonction n’a pour le moment été prononcée pour faire cesser cette atteinte. En effet, « l’état de l’instruction ne [lui] permet pas de déterminer avec précision les mesures devant être ordonnées à l’Etat à cette fin » (point 39). Il ordonne ainsi un supplément d’instruction, tout comme le Conseil d’Etat l’a fait dans sa décision Commune de Grande-Synthe à défaut de disposer d’éléments suffisants pour emporter sa conviction, avant de statuer sur les conclusions des associations.
Par Carl Enckell et Marie Breton – Enckell Avocats