Dans un récent arrêt du 21 octobre 2011, Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement C/ EARL CINTRAT (requête n° 334-322 publiée au Lebon), le Conseil d’Etat précise opportunément la définition d’un « cours d’eau ».
Le « cours d’eau » est une expression fréquente en droit de l’Environnement, non seulement au titre des activités dites « IOTA » (soumises à la loi sur l’eau) mais aussi s’agissant des installations classées. En effet, plusieurs rubriques de la nomenclature des ICPE imposent aux équipements industriels des précautions vis-à-vis de « cours d’eau » (une distance minimale).
Encore faut-il savoir ce qu’il convient d’entendre par cours d’eau : peut-il s’agir d’un canal artificiel, d’un ruisseau ? Qu’en est-il s’agissant de la distinction entre domaine public et privé ?
Saisi de la légalité d’un arrêté préfectoral qualifiant un ruisseau de « cours d’eau » non domanial et soumettant à autorisation des prélèvements effectués par un particulier, le Conseil d’Etat indique que constitue un « cours d’eau » un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année.
En revanche, si la richesse biologique du milieu peut constituer un indice à l’appui de la qualification de « cours d’eau », l’absence de vie piscicole ne fait pas, par elle-même, obstacle à cette qualification.
C’est pourquoi un canal artificiel peut être un cours d’eau, lorsqu’il est affecté à l’écoulement des eaux d’une rivière principale (CE, 26 janvier 1972, req. n° 76.893, sieur X).
En l’espèce, le Conseil d’état relève que le ruisseau en question s’écoule depuis une source située en amont d’un plan d’eau et captée par un busage. Il n’est pas seulement alimenté par des eaux de ruissellement et de drainage. Si l’eau s’écoule dans des fosses aménagées dans un talweig, le ruisseau présentait bien, antérieurement à son réaménagement, un lit naturel comme en attestent des données cartographiques.
En outre, quand bien même l’écoulement de l’eau ne serait pas permanent, cette caractéristique ne prive pas le ruisseau de son caractère de cours d’eau non domaniale dès lors qu’il a un débit suffisant la majeure partie de l’année, attesté par la présence d’une végétation et d’invertébrés d’eau douce.
Une définition jurisprudentielle conforme à la circulaire du 2 mars 2005
L’arrêt EARL Cintrat du 21 octobre 2011 confère une force juridique à la circulaire du ministère de l’Écologie et du Développement durable du 2 mars 2005 (Circ. min. Écologie, 2 mars 2005 relative à la définition de la notion de cours d’eau), selon laquelle la qualification de cours d’eau repose essentiellement sur les deux critères suivants :
– la présence et la permanence d’un lit naturel à l’origine, distinguant un cours d’eau d’un canal ou d’un fossé creusé par la main de l’homme mais incluant un cours d’eau naturel à l’origine mais rendu artificiel par la suite, sous réserve d’en apporter la preuve ;
– la permanence d’un débit suffisant une majeure partie de l’année apprécié au cas par cas par le juge en fonction des données climatiques et hydrologiques locales et à partir de présomptions au nombre desquelles par exemple l’indication du “cours d’eau” sur une carte IGN ou la mention de sa dénomination sur le cadastre
Qu’en est-il du domaine public fluvial ?
Bien que l’arrêt EARL Cintrat porte sur le domaine privé, et non sur le domaine public, les deux critères de définition retenus peuvent rendre obsolète la définition légale du domaine public fluvial, inscrite dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P).
En effet, selon le CG3P seul le domaine public fluvial naturel est constitué des « cours d’eau » et lacs appartenant à l’État, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements (art. L. 2111-7 du CG3P). Ce sont les « cours d’eau et lacs domaniaux » (art. L. 2111-8 du CG3P).
Au contraire, la définition du domaine public fluvial artificiel ne fait pas référence à la notion de cours d’eaux. Ce domaine public est constitué des :
– canaux et plans d’eau appartenant à une personne publique ou à un port autonome et classés dans son domaine public fluvial ;
– ouvrages ou installations destinés à assurer l’alimentation en eau des canaux et plans d’eau ainsi que la sécurité et la facilité de la navigation, du halage ou de l’exploitation ;
– biens immobiliers concourant au fonctionnement d’ensemble des ports intérieurs (art. L. 2111-10 du CG3P)
Comment interpréter cette distinction entre domaine public fluvial naturel et artificiel depuis l’arrêt EARL Cintrat du Conseil d’état ?
Tout d’abord, il n’est pas évident que les auteurs du CG3P aient volontairement entendus exclure le domaine public fluvial artificiel du champ des « cours d’eaux » et de ses implications dans les autres législations (ICPE mais aussi loi sur l’eau).
Ensuite, le droit communautaire ne distingue pas, de la même manière, les domaines publics et privés pour déterminer l’applicabilité des textes en faveur de la protection de l’environnement.La directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 laisse notamment à chacun des états membres le soin d’apprécier le bon état écologique et chimique de ses différentes masses d’eau de surface.
En définitive, le domaine public n’ayant pas vocation à moins garantir la protection de l’environnement que le domaine privé, on peut considérer que l’arrêt EARL Cintrat lui est transposable. Ainsi, un canal artificiel situé sur le domaine public (une darse nautique par exemple) pourra bien être considéré comme un « cours d’eau », nonobstant la rédaction approximative du CG3P.
Les conditions de définition d’un cours d’eau sont donc cumulatives :
i. Un écoulement d’eau courante originellement naturel, et alimenté par une source,
ii. Un débit suffisant la majeure partie de l’année.
Toute autre considération n’est pas essentielle à la définition d’un cours d’eau, notamment la richesse du milieu, le caractère artificialisé du cours d’eau (busé ou canalisé), ou la circonstance que celui-ci soit domanial ou pas (domaine public ou domaine privé).
Il convient également de retenir de cette décision que la qualification de cours d’eau peut dépendre d’une recherche d’antériorité impliquant de déterminer si un cours d’eau artificialisé a antérieurement été naturel (canal artificialisé ou busé par exemple).