Le Conseil d’Etat vient de décider que le juge administratif, saisi d‘une requête en référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, doit apprécier concrètement et globalement si la condition d’urgence est satisfaite, au regard, notamment, de l’atteinte grave et immédiate à la sécurité publique constituée par l’absence de réalisation de l’opération projetée.
Il ne peut donc pas se contenter de constater que le commissaire enquêteur a formulé un avis défavorable (CE, 24 avril 2012, Société des Autoroutes du Sud de la France, req. n° 355.623).
L’avis défavorable du commissaire enquêteur a des conséquences sur la procédure d’approbation des opérations soumises à enquête publique (ICPE, Parc éolien, projet d’aménagement soumis à déclaration d’utilité publique – DUP).
Ainsi, dans le cas d’opérations ayant une personne publique pour maître d’ouvrage, son organe délibérant doit voter une délibération motivée réitérant la demande d’autorisation ou de déclaration d’utilité publique (C. Env., art. L.123-16).
En cas de recours d’un tiers, l’avis défavorable du commissaire enquêteur n’est pas non plus anodin. En effet, d’après le Code de l’environnement, « le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci. (…) Il fait également droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que l’enquête publique requise par le présent chapitre ait eu lieu » (art. L. 123-16 C. Env., ex. art. L. 123-12).
Ces dispositions sont reprises à l’article L. 554-12 du Code de justice administrative selon lequel la décision de suspension d’une décision d’aménagement soumise à une enquête publique préalable obéit aux règles définies par l’article L. 123-16 du code de l’environnement.
En d’autres termes, en cas d’avis négatif du commissaire enquêteur, il est beaucoup plus facile d’obtenir la suspension d’une décision administrative relative à une opération d’aménagement devant le juge des référés. C’est important s’agissant notamment des DUP. Dans un tel cas, le juge administratif des référés se contente d’examiner si l’un des moyens de la requête est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il ne peut pas rejeter la requête en retenant l’urgence dans laquelle se trouverait la collectivité publique de voir se réaliser l’ouvrage (v. s’agissant de la demande de suspension de la DUP relative à la liaison autoroutière A6 A46 : CE, juge des référés, 17 décembre 2009, commune de Quincieux et autres, req. n° 333.719)
Cependant, encore faut-il que les requérants introduisent leur action en référé sur le bon texte : le référé spécial enquête publique (art. L. 554-12 CJA) et non pas le référé administratif de droit commun (art. L. 521-1 CJA).
C’est vraisemblablement pour de motif que, dans l’affaire qui vient d’être jugée par le juge des référés du Conseil d’Etat, l’ordonnance de référé du juge de Montpellier suspendant l’opération de création d’une aire d’autoroute sur la A9 a été annulée.
En effet, les requérants n’avaient a priori pas fondée leur action explicitement sur l’article L. 554-12 mais sur l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.
Dans un tel cas, deux conditions doivent impérativement être réunies pour obtenir une décision de suspension :
– la démonstration d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte ;
– l’urgence.
Comme l’indique le Conseil d’Etat, « il appartient au juge des référés saisi d’une demande de suspension de l’exécution d’une décision administrative d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à porter à sa situation ou à un intérêt public une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ».
En l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ayant déduit de la seule circonstance que le commissaire enquêteur avait donné un avis défavorable à l’opération projetée que la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 était satisfaite a entaché son ordonnance d’erreur de droit, laquelle doit être annulée.
En pratique, les requérants pourraient être tentés de réintroduire un recours en référé, cette fois-ci fondé sur le bon texte… mais le Conseil d’Etat prend soin de les en dissuader en retenant qu’aucun des moyens de leur requête n’est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.