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Choc de compétitivité juridique : Que penser des propositions du rapport Lambert-Boulard en matière d’environnement ?

par | 4 Avr 2013

Quand deux élus hauts fonctionnaires partent en guerre contre le mal très français qu’est l’inflation normative, les propositions fusent.

Le rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative (rapport Lambert Boulard) rendu 2012465_14023539-nono2102-20130221-t103a.jpgpublic le 26 mars 2013 propose, exemples à l’appui, de bousculer notre tendance lourde à empiler les normes.

Fort des l’expérience de terrains des collectivités publiques qui les ont alimenté en cas pratiques, les auteurs formulent plusieurs propositions qui intéresseront les acteurs du droit de l’environnement : mettre fin au gouvernement des DREAL, tempérer le principe de précaution, réviser la réglementation des mâchefers et la planification des déchets.

Certaines de ces mesures, qui ne remettent pas en cause les enjeux de la protection de l’environnement, ont été proposées ici même depuis un an déjà. La question demeure de savoir lesquelles seront adoptées. Il y a urgence car il en va de la compétitivité des entreprises françaises dans une économie mondialisée.

Le rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative rendu public le 26 mars 2013 mérite qu’on s’y arrête un peu plus que le temps d’une brève citation.

D’abord parce que sa lecture est réjouissante.  Il semble en effet que ces deux élus, serviteurs de l’Etat (et hauts fonctionnaires) aient choisi d’adopter la devise « faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux ».

C’est ainsi qu’ils placent leurs propositions – très sérieuses – sous le quadruple patronage de Montaigne (« Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ... »), Montesquieu (« Les lois inutiles affaiblissent les lois essentielles »), Saint-Just (« On ne gouverne pas sans laconisme ») et Pierre Dac (« – Pouvez-vous détecter les normes absurdes ? – Je le peux. – Vous pouvez vraiment le faire ? – Oui… – Il peut le faire ! Alors on l’applaudit très fort ! »).

Le rapport est également illustré par Plantu, ce qui est une première dans un rapport de la République. Les auteurs invitent d’ailleurs à imager le Journal Officiel pour le rendre plus lisible et plus attractif…

Ils appellent également à un vaste mouvement d’abrogation de normes et relèvent, avec une provocation toute républicaine, que la dernière série en la matière date de la nuit du 4 août 1789.

i. Mettre fin au gouvernement des DREAL

« Les DREAL gouvernent. Hallucinant ? Où sont passés les Préfets de Région ? » : voilà un premier constat que le praticien du droit de l’environnement que je suis ne peut que partager, tant en ce qui concerne les déchets que les énergies renouvelables.

La technicisation croissante de la norme conduit à ce que l’Etat, à travers ses représentant, ne se sente plus en mesure de décider sans l’approbation des services « experts ».

Mais ne jetons pas la pierre aux seules Dreal. On pourrait faire le même reproche s’agissant de l’autorité absolue des avis des fonctionnaires du ministère de la défense en matière de relations radars-éoliens.

Du reste, si tel ou tel service de l’Etat « gouverne », c’est plutôt en raison d’une mise en œuvre systématique du principe de précaution.

ii. Tempérer le principe de précaution

Le rapport est sévère vis à vis du principe de précaution.

« L’épidémie » de normes « a été relancée par le principe de précaution qui fonde une société peureuse, frileuse,  paralysée par l’obsession de prévenir tous les aléas ».

Notre système juridique est en « état de glaciation (…) pollué lui aussi par le principe de précaution qui tend à faire préférer la sécurité dans l’application automatique d’une règle au risque de son interprétation »

Le rapport établi un lien direct entre « l’horreur normative » et le principe de précaution.

« Face au principe de précaution, il est urgent de réhabiliter le droit au risque, condition du progrès scientifique et technique, des innovations qui impliquent toujours des transgressions et des  explorations hors normes. La créativité est par essence hors-norme »

« La réhabilitation du droit au risque dépasse largement la question de notre corpus juridique. Elle implique un discours volontariste et pédagogique à tous les niveaux sur le caractère potentiellement  créatif de la prise de risque, et sur le droit à réparation. Il s’agit d’une évolution dans la durée, qui touche elle aussi à un réflexe culturel ancré dans les mentalités françaises : dans un autre domaine, les économistes considèrent les Français comme plutôt « averses au risque », avec comme symptôme de cette aversion un taux d’épargne parmi les plus élevé d’Europe (16,2% en 2012) »

Il est vrai que les barrières administratives bien souvent constatées ont souvent pour origine une application crispatoire (si l’on m’autorise ce néologisme) du principe de précaution.

Tel est par exemple le cas en matière de définition du statut de déchet, parfois très éloignée de la réalité des risques constatés. L’une des causes peut être que certaines normes sont pensées et rédigées par des auteurs qui ne sont pas  confrontés à la réalité de leur mise en œuvre et de leur utilité.

D’autres pays européens que la France réputés très sérieux (Pays-Bas, Hollande) ont une conception moins stricte des risques.

La mise en place d’une économie circulaire implique notamment que l’on admette de revenir sur la classification de déchets d’un certain nombre de matériaux.

Il est également urgent que la France définisse enfin le statut de sous-produit.

iii. réviser la réglementation des mâchefers

Le rapport comporte non pas une mais deux mesures concernant les mâchefers.

Abroger l’arrêté Mâchefers

Tout d’abord, l’abrogation ou suspension de l’arrêté ministériel du 18 novembre 2011 relatif au recyclage en technique routière des mâchefers d’incinération, à l’initiative d’une demande de la Communauté urbaine de Strasbourg (proposition n° 7).

La proposition est fort utile mais hélas pas nouvelle puisque le sénateur Francis Grignon a déjà attiré l’attention de la Ministre de l’écologie dans une question orale n°1454 publiée au JO du Sénat le 3 novembre 2011, sur le projet d’arrêté mâchefers. Il s’interrogeait, notamment, sur le fait de savoir « si le Gouvernement entend faire évoluer cet arrêté, en particulier s’agissant de la mise en application de ces dispositions au 1er juillet 2012, ce qui parait un peu précipité »

La Ministre de l’écologie avait estimé alors que le dispositif prévu par l’arrêté ministériel du 18 novembre 2011 est « assez complet, mais il est possible, compte tenu de sa mise en place récente, qu’il soit réévalué d’ici à quelques mois. »

La réévaluation intervenue n’a corrigé aucune des difficultés majeures soulevées par le texte.

La proposition Lambert Boulard devrait donc réjouir l’Association Nationale pour la promotion de la Grave de Mâchefers (ANGM) qui propose depuis plusieurs mois de revoir les points excessifs de l’arrêté.

Je ne m’exprimerai pas plus sur le sujet à ce stade compte tenu des procédures en cours devant le Conseil d’Etat, après un recours devant le Conseil constitutionnel(la décision est ).

Changer la fiscalité non vertueuse des mâchefers

Ensuite, le rapport propose la modification d’une fiscalité non vertueuse, constant à soumettre à TGAP les mâchefers valorisables mais non valorisés faute de débouchés.

Nous avons déjà eu l’occasion de dire ici à plusieurs reprises  (ici, et notamment là, le 6 juillet 2011 : éxonération de TGAP pour les seuls mâchefers non valorisables : une fiscalité anti-écologique ?) que cette mesure était le parfait contre exemple de la fiscalité verte puisqu’elle incitait au contraire à une élimination sauvage des mâchefers d’incinération.

Tous les mâchefers d’incinération étant le sous-produit d’ordures ménagères déjà taxées, il n’y a pas lieu de n’en exonérer que certains de la TGAP.

Il faut donc saluer la proposition 23 du rapport, qui a pour origine un signalement du SYCTOM de Paris.

Espérons que les auteurs soient entendus car aux dernières nouvelles, le Ministère de l’environnement s’orientait plutôt vers une solution inverse en augmentant la TGAP applicable aux mâchefers recyclables qui seraient stockés en ISDND.

iv. réviser la planification des déchets

Le rapport propose également de modifier le Code de l’environnement pour ne plus obliger les plans départementaux de prévention et de gestion des déchets non dangereux de prévoir « obligatoirement » des installations de stockage. Cette formule comminatoire laisse songeur, surtout s’agissant des plans de gestion des déchets inertes des chantiers du BTP. En effet, on sait là encore que d’autres pays que la France (Pays Bas, etc…) ont depuis plusieurs années banni l’enfouissement des déchets inertes pour systématiquement promouvoir leur recyclage…

En définitive, les mesures proposées en matière d’environnement semblent assez raisonnables : soucieuses de rendre de la compétitivité aux entreprises et aux territoires, elles ne remettent pas en cause les enjeux de la protection de l’environnement.

D’autres mesures manquent telle que la réforme du financement des mesures des PPRT. Mais il faut saluer l’initiative et un rapport qui, bien qu’inhabituellement « second-degré », est un bel inventaire pour un gouvernement qui appelle à un choc de simplification.

La question sera de vérifier lesquelles de ces mesures seront réellement adoptées en matière d’environnement.

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

Suisse : toujours pas de valorisation complète des mâchefers d’incinération de déchets ménagers (Tribunal fédéral, 19 sept. 2024)

En France, la valorisation des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers) est courante, notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Elle est notamment encadrée par un arrêté ministériel et un guide technique d’application.

En revanche, en Suisse, la législation fédérale impose l’enfouissement des mâchefers, alors que les espaces disponibles pour le stockage empiètent sur les terres agricoles et, donc, la souveraineté alimentaire.

Un récent arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023) juge que l’obligation de solidarité des cantons ne leur permet pas de rechercher seuls des solutions innovantes et plus vertueuses.

Les mâchefers d’incinération de déchets ménagers

L’incinération des déchets ménagers répond aux enjeux de l’économie circulaire. Elle doit être privilégiée à l’enfouissement, selon la hiérarchie des modes de traitement des déchets (réduire, réutiliser, recycler).

Cependant, ce mode de traitement génère des mâchefers, c‘est à dire des résidus d’incinération. Ils représentent un peu moins de 20% des déchets incinérés, soit de l‘ordre de 3 millions/tonnes de mâchefers/an en France (pour 120 centrales traitant 14,5 millions de tonnes de déchets/an) et 700 000 tonnes/an en Suisse (pour 30 centrales traitant 4 millions de tonnes de déchets/an).

En Europe, les usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) suisses sont réputées pour leur modernités et leurs performances, notamment en termes de rejets. Pourtant, alors que les mâchefers peuvent être avantageusement valorisés, notamment dans les travaux publics, la loi fédérale suisse (Ordonnance dite « OLED » du 4 décembre 2015), impose leur élimination en décharge.

Dans le canton de Genève, suite à a l’opposition des habitants suscitée face à un projet de création de nouvelle décharge pour stocker des mâchefers sur une zone agricole, une initiative cantonale a prôné le recyclage de ces déchets comme alternative à l’enfouissement.

L’arrêt du Tribunal fédéral du 19 septembre 2024

Toutefois, dans un arrêt rendu le 19 septembre 2024 (n° 1C_426/2023), le Tribunal fédéral a confirmé le jugement de première instance et annulé cette initiative pour deux motifs principaux :

  • la compétence en matière environnementale relève de la Confédération et non des cantons, ce qui limite la marge de manœuvre cantonale dans ce domaine (point 2.3.5 de l’arrêt)
  • la loi fédérale de protection de l’environnement impose aux cantons de collaborer pour planifier la gestion et l’élimination des déchets au-delà de leurs frontières. Cette obligation implique une participation active et constructive à la recherche de solutions communes dans le cadre de la loi (point 2.3.4 de l’arrêt)

En d’autres termes, seul un accord l’échelon confédéral peut permettre la valorisation des mâchefers d’incinération de déchets ménagers plutôt que leur enfouissement.

Cette situation rappelle les tensions en France liées aux arrêtés municipaux « anti-OGM ». Le juge administratif avait alors rappelé que la police des OGM relève de la police spécial de l’État et que le principe de précaution ne permet pas au maire d’excéder ses compétences (CE, 24 septembre 2012, 342990, Publié au Recueil Lebon).

Une modification à venir du cadre légal fédéral ?

Suite à l’arrêt rendu par le tribunal fédéral suisse, le Conseil d’État genevois (organe exécutif cantonal) a mis en avant, dans un rapport du 4 novembre 2024, la nécessité de recourir à des « procédés innovants » pour valoriser les mâchefers. Il souligne que cette initiative cantonale pourrait constituer une expérimentation visant à « démontrer à la Confédération le bien-fondé de la modification du cadre légal fédéral ». Cette évolution règlementaire serait destinée à permettre :

  • une plus grande valorisation des mâchefers et, par conséquent, la réduction des volumes de déchets enfouis
  • tout en maîtrisant les risques environnementaux et en respectant le principe de coopération intercantonale.

La France peut à ce titre se prévaloir de déjà disposer d’un cadre juridique permettant la valorisation complète des graves de mâchefer (matières premières secondaires issues de l’incinération de déchets ménagers), notamment dans les travaux d’infrastructures routières. Cette pratique est notamment encadrée par un arrêté ministériel du 18 novembre 2011 et un guide technique d’application du Cerema.

Les professionnels du secteur sont représentés en France par l’Association Nationale pour l’utilisation des Graves de Mâchefers en travaux publics (ANGM) et en Europe, par la Fédération internationale du recyclage (FIR), tout particulièrement son groupe « Incinerator bottom ash ».

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Une centrale solaire peut être installée à proximité d’activités sportives et touristiques (jurisprudence cabinet)

Par deux jugements du 3 décembre 2024, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les recours dirigés contre un projet de centrale solaire de 20 MW situé en région Nouvelle Aquitaine (TA Limoges, 3 décembre 2024, 2101881, 2101882 et 2101873). Le développeur du projet était défendu par le cabinet Altes.

Le tribunal a jugé que le projet respectait la réglementation locale d’urbanisme (1) et qu’il n’engendrait pas d’impact environnemental ou paysager (2).

1/ La centrale solaire respecte la réglementation d’urbanisme

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le préfet est compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme pour les ouvrages de production d’énergie (art. L422-2, b. du code de l’urbanisme). Parallèlement, la commune ou l’intercommunalité est compétente pour fixer la réglementation d’urbanisme.

1.1. Pas d’illégalité du PLU

Les requérants invoquaient l’« exception d’illégalité » de la règle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune autorisant des « constructions industrielles concourant à la production d’énergie (centrale solaire PV…) » dans un secteur dédié aux activités sportives, touristiques et de loisir.

Le juge a écarté ce moyen en considérant que le développement des énergies renouvelables n’était pas incompatible avec la promotion de ces activités.

1.2. Pas d’obligation de sursis à statuer en attendant le nouveau PLU en cours d’élaboration

Les requérants reprochaient au préfet de ne pas avoir sursis à statuer sur la demande de permis. Cette possibilité prévue par le code de l’urbanisme (articles L. 153-11 et L. 424-1), concerne le cas où un projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLU.

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’utilisation ou non de cette faculté, limitée à l’erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens CE, 26 janv. 1979, n° 01485).

Le tribunal juge sur ce point que le seul projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du futur PLU ne justifiait pas un sursis à statuer au regard de son contenu : « eu égard à leur portée et à leur caractère général et en l’absence de zonage les concrétisant, les orientations précitées du PADD ne peuvent être regardées comme traduisant un état d’avancement du projet de plan local d’urbanisme suffisant à fonder une décision de sursis, compte tenu de la localisation du projet en litige ».

Il a sur ce point confirmé la jurisprudence selon laquelle un sursis ne peut être pris que si le projet de PLU forme une quasi-norme, formalisée et décantée (voir en ce sens CE, 9 déc. 1988, n° 68286 ; CE, 21 avril 2021, n°437599, conclusions du RP ; et aussi par ex. CAA Bordeaux, 9 juill. 2020, n° 19BX00571). Ainsi, l’exécution du PADD n’étant pas compromise ou rendue plus onéreuse, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

2/ La centrale solaire n’emporte aucun impact environnemental ou paysager sur le golf voisin

Les requérants contestaient enfin les impacts du projet sur l’environnement (art. R. 111-26 du code de l’urbanisme). Cependant, le tribunal juge que la localisation du projet dans une zone agricole non artificialisée ne permet pas d’établir des atteintes à l’environnement.

Les autres impacts présumés sur le paysage (art. R. 111-27), notamment un impact visuel sur un golf voisin, des risques liées aux retombées de balles, des impacts sur le drainage du terrain, ainsi qu’une dépréciation de la valeur du golf ne sont pas matériellement démontrés, d’autant plus que le projet répond efficacement à chacun de ces présumés impacts, notamment grâce à la topographie et des mesures d’insertion.

Ces jugements constituent un signal encourageant pour le développement des énergies renouvelables, même dans un contexte local parfois éprouvant. Ils démontrent également l’importance de la coordination entre le préfet et la commune dans le processus de délivrance des permis des installations de production d’énergie. Ainsi que, au besoin, l’utilité d’un accompagnement juridique des promoteurs pour limiter le risque d’annulation.

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

Autorisation environnementale : le juge peut forcer sa régularisation malgré l’inertie du préfet (CAA Douai, 29 août 2024)

La procédure dite de régularisation « dans le prétoire » a été inscrite au code de l’environnement en 2017 pour faire aboutir des projets industriels et d’énergies renouvelables (notamment parcs éoliens) malgré des recours en justice. En pratique, elle peut durer et demeurer aléatoire. Cette décision démontre l’efficacité du dispositif, y compris si l’Etat, après avoir accordé une autorisation illégale, refuse in fine de la régulariser. En octroyant la régularisation malgré le refus du préfet, le juge se comporte comme un administrateur et se substitue à l’inertie de l’Etat.

En l’espèce, suite à un recours dirigé contre l’autorisation environnementale d’un projet éolien, le juge administratif avait pris un sursis à statuer (SAS) dans l’attente de sa régularisation. Deux ans plus tard, la société n’avait toujours pas obtenu l’arrêté préfectoral nécessaire à la continuité de son projet. Finalement, la Cour administrative d’appel de Douai délivre elle-même la régularisation attendue, après avoir jugé que l’inertie de l’administration était illégale (CAA Douai, 29 août 2024, 24DA00695).

1/ Une innovation prétorienne

Le recours direct contre un refus de régularisation est possible. Un refus tacite de régularisation est un acte administratif faisant grief, de sorte qu’il peut faire l’objet d’un recours. La particularité est l’articulation de ce recours mené par la société porteur du projet éolien, avec celui entamé initialement par les opposants contestant ledit projet.

Les opposants ont demandé l’annulation de l’arrêté d’autorisation environnementale alors que la société demande, quatre ans plus tard, l’annulation du refus de régulariser la même autorisation environnementale. Suivant les conclusions de sa rapporteure publique, la Cour juge que ce nouveau recours implique un recours distinct (voir en ce sens CE, 9 novembre 2021, Sté Lucien Viseur req. 440028 B), n’y reconnaissant que le statut d’observateur aux opposants.

La rapporteure publique recommande également aux juges d’examiner la légalité du refus de régularisation avant de poursuivre l’instance dirigée contre l’autorisation initiale suspendue.

Le silence opposé par le préfet à une demande de régularisation vaut refus. En l’espèce, le préfet n’avait pas explicitement refusé la demande de la société mais s’était contenté de rester silencieux.

Pour conclure que cette inertie équivaut à un refus, la Cour se base sur le délai du droit commun énoncé à l’article L.231-1 du code des relations entre le public et l’administration. Ainsi, le principe est que silence gardé par l’administration (deux mois après la demande) vaut acceptation. Par exception, le silence vaut refus dans certains cas, tel que la demande d’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental (annexe du décret 2014-1273 du 30 octobre 2014).

La Cour juge que la demande de la société tendant à la délivrance d’une autorisation modificative, « devait conduire le préfet à apprécier s’il impliquait une modification substantielle ou seulement notable du projet autorisé. Dans la mesure où, d’une part, l’une ou l’autre de ces modifications était susceptible de justifier soit une nouvelle étude d’impact, soit une modification de l’étude d’impact et où, d’autre part, l’autorisation d’un projet soumis à étude d’impact environnemental déroge au principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation » (considérant 11). Une décision tacite est donc née, mais elle vaut refus. En outre, une décision tacite de refus est par principe illégale dans la mesure où elle n’est pas motivée.

Un nouvel exemple du juge administrateur. Le juge n’a pas régularisé l’acte spontanément. C’est seulement au vu de la durée de la procédure de régularisation et de l’inertie de l’administration qu’il fait usage de ses pouvoirs de plein contentieux et se substitue à l’administration pour permettre à la continuité du projet. La rapporteure publique souligne que reconnaître cette action est le seul moyen de combattre la tendance de l’administration de refuser de statuer expressément sur certains projets éoliens.

Ainsi, la Cour précise que « [le juge administratif] a, en particulier, le pouvoir d’annuler la décision par laquelle l’autorité administrative a refusé l’autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d’accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu’il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions » (considérant 31). La formulation de ce considérant de principe laisse entendre que le juge peut régulariser ou compléter la procédure, avant d’accorder lui-même l’autorisation.

2/ Comment procéder lorsque la procédure de régularisation n’aboutit pas ?

La procédure ordinaire : classique mais robuste. Dans le cas où l’acte est susceptible d’être régularisé, le juge sursoit à statuer en fixant un délai pour l’administration (article L. 181-18, I, 2° du code de l’environnement).

Le recours des tiers dirigé contre l’autorisation est alors suspendue jusqu’à ce que le préfet statue sur la mesure de régularisation. De plus, le Conseil d’Etat a précisé, dans un avis contentieux, que le juge doit user de ses pouvoirs de régularisation lorsque les conditions en sont réunies à le faire (CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431). La régularisation est donc devenue le principe, et non pas une simple faculté.

Enfin, le dépassement éventuel du délai fixé par le juge pour mener la procédure de régularisation ne constitue pas une entrave (Voir en ce sens CE, 16 février 2022, Société MSE la Tombelle, req. 420554, 420575  à propos de la régularisation d’un permis de construire selon l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, « [le juge administratif] ne saurait se fonder sur la circonstance que ces mesures lui ont été adressées alors que le délai qu’il avait fixé dans sa décision avant dire droit était échu pour ne pas en tenir compte dans son appréciation de la légalité du permis attaqué »).

La procédure finalisée par le juge : une exception. Le juge a certes l’obligation de sursoir à statuer en l’attente de l’acte de régularisation. Mais si celui-ci tarde à arriver, en raison d’un blocage du préfet, comment agir ?

En suivant l’exemple du cas d’espèce, le porteur du projet, doit d’abord procéder aux formalités qui lui incombent nécessaires pour régulariser les vices constatés (par ex. mise à jour du dossier).

Il doit ensuite demander à l’administration, au besoin après qu’elle ait finalisé les formalités à même de régulariser l’autorisation illégale (par ex. demande d’avis ou enquête publique complémentaire) de délivrer une autorisation modificatrice, à savoir un arrêté préfectoral complémentaire portant régularisation.

Si l’administration refuse explicitement ou ne répond pas, le porteur de projet peut saisir le juge pour contester cette décision. Si la décision préfectorale de refus est jugée illégale, c’est le juge qui accordera – le cas échéant après avoir régularisé ou complété la procédure – lui-même l’autorisation aux conditions qu’il fixe.

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