Comment lutter contre l’inflation normative, pour relancer l’économie, tout en garantissant une protection élevée de l’environnement ?
Je vous propose de lire ma tribune, publiée sur le Cercle Les Echos, et qui propose de réconcilier ces deux objectifs.
La crise économique étant structurelle, la solution passe par une meilleure intégration de la réglementation et des politiques publiques, sous l’aune du développement soutenable.
Le Grenelle de l’environnement en 2007, la Conférence environnementale en 2012 et à présent les États généraux du droit de l’environnement ont défendu ou défendent, chacun à leur manière, le principe majeur selon lequel le droit de l’environnement a vocation à devenir le dénominateur commun des politiques publiques. Ils impliquent une meilleure efficience de la norme environnementale.
En parallèle, depuis plusieurs mois, des rapports préconisant une simplification du droit pour soutenir la relance de l’économie se multiplient : Attali, Warsmann, Gallois et maintenant Lambert et Boulard. Ces différents rapports citent souvent comme exemple la réglementation en matière d’environnement dont la complexité constituerait un frein.
Or, loin de s’opposer, ces deux tendances peuvent se compléter.
En effet, pour devenir plus efficace, le droit de l’environnement (tout comme le droit de l’urbanisme par exemple) doit se simplifier. Cette simplification n’implique pas de minimiser l’effet protecteur de l’environnement par le droit, tout au contraire. Une telle approche implique cependant de s’accorder sur la nature des mesures simplificatrices. Non pas dérégulatrices, les réformes à adopter doivent être intégratrices.
i) On ne contrôle que ce que l’on mesure
La réglementation moderne multiplie les détails, notamment dans le secteur de la réglementation environnementale au sens large.
Ce phénomène n’est pas exclusif à la France. Ainsi, les règlements européens sont souvent accompagnés d’annexes et des tableaux précisant le détail de telle ou telle mesure, eux-mêmes élaborés à la suite de rapports d’experts.
Il n’est pas question ici de discréditer l’utilité de ces seuils ou des normes d’application, indispensables à la vérification de la bonne application des règles de droit en matière de protection de l’environnement. Mais la difficulté soulevée est que l’on ne contrôle que ce que l’on mesure. Dès lors, la question à se poser est celle de savoir si la multiplication des étapes et des seuils permet réellement d’atteindre les objectifs du développement durable : à savoir garantir pour les générations futures la protection de l’environnement tout en maintenant un bien-être social et économique.
ii) Les sources de l’excès de norme et de leurs contradictions
Avant toute chose, la recherche de solutions implique d’identifier l’origine de l’inflation normative et de ses effets incapacitants exposés par les différents rapports de hauts fonctionnaires susvisés.
Tout d’abord, il ne faut pas négliger un aspect subjectif selon lequel la multiplication des normes peut avoir un effet rassurant
Elle répond au besoin de contrôle d’un monde complexe, mais également désenchanté. Sans rentrer dans de grandes considérations métaphysiques, c’est une conséquence de la société des experts, qui se sont substitués aux penseurs, mais aussi aux prophètes.
Dans un État centralisé comme la France, doté de surcroit d’un système juridique de droit continental, l’inflation normative peut aussi être une tentative de réponse à une perte de crédibilité/efficacité de la chose publique. Au contraire par exemple de la campagne de dérégulation menée aux États-Unis dans les années quatre-vingt et de ses conséquences aussi bien en matière financière que d’environnement (les exemples ne manquent pas).
Or, si la norme est un moyen de répondre aux conséquences d’un libéralisme trop exacerbé, l’excès de norme de détail peut au contraire avoir pour effet d’affaiblir l’autorité de l’État en la diluant.
Ensuite, il ne faut pas négliger que certaines normes complexes ont pour origine l’influence d’acteurs concernés
Les opérateurs économiques, mais aussi les associations sont conscients de l’importance capitale des normes.
En effet, la fixation du contenu des dispositions techniques de mise en œuvre de textes généraux (directives européennes et/ou lois) laisse souvent place à une marge d’interprétation. Par suite, l’influence d’acteurs concernés, à travers des associations ou des fédérations professionnelles, peut jouer de manière significative dans la détermination du contenu de dispositions techniques.
Cette pratique peut limiter ou au contraire favoriser le maintien d’activités ou de pratiques historiques et parfois entraîner des contradictions avec les objectifs de rang supérieur. Là encore, le recours, officiel ou pas, à des professionnels pour rédiger les normes peut témoigner d’un glissement du modèle français vers un modèle anglo-saxon.
Or, pour relever les défis modernes auxquelles l’Europe doit faire face, les États membres doivent avantager certains secteurs encore émergents (par exemple les énergies renouvelables, le réemploi des ressources et l’économie circulaire en général).
iii) Quelles solutions pratiques ?
Une première solution serait de ne pas rechercher systématiquement le risque zéro, qui n’existe pas
À ce titre, la pratique du comparatisme juridique (benchmarking) permet de constater que des pays européens modèles ont adopté des seuils destinés à prendre en considération la protection de l’environnement et de la santé publique, mais aussi les intérêts économiques. La sensibilité de cette question implique de formuler des avis en toute indépendance.
Le recours à l’autorité judiciaire ne doit pas être négligé, même s’il a ses limites
Le juge est réticent à entrer dans des considérations techniques en cas de recours contre une norme réglementaire technique contesté au motif par exemple qu’elle priverait un texte de son efficacité, ce qui peut se comprendre. Sauf que cela renforce un peu plus encore le principe de la société des experts, dans la mesure ou les seuls arbitres des normes techniques en deviennent leurs auteurs.
De nouvelles conditions d’élaboration des normes et de gouvernance
Pour paraphraser Clémenceau, on pourrait écrire que la norme d’application est une chose trop grave pour la confier seulement à des fonctionnaires.
L’évolution du droit de l’environnement implique une amélioration des procédures de concertation (gouvernance à cinq), plus ou moins efficacement. Il s’y trouve peut-être un moyen de garantir de manière plus transparente que des normes d’application ne vont pas vider certains textes de leur substance ou encore imposer des mesures inutiles.
C’est déjà le cas par exemple avec la loi sur la participation du public en matière d’environnement, votée à la fin de l’année dernière. Elle implique que des textes réglementaires techniques ayant des effets sur l’environnement soient soumis à concertation. Après cela, encore faut-il que les observations pertinentes du public soient prises en considération.
Le mouvement du droit européen vers une intégration des législations et des politiques publiques
Certaines normes techniques sont difficiles à mettre en œuvre parce qu’elles ont été élaborées isolément. C’est la question du tronçonnement artificiel des réglementations, qui peut conduire à des contradictions et neutraliser un secteur économique.
C’est ce défi qui conduisait récemment Janez Potocnik, commissaire européen à l’environnement, à préconiser lors d’une conférence à Paris d’adopter une approche intégrée des politiques publiques sous l’aune de l’enjeu environnemental.
Une gouvernance prospective pour des normes durables
La réconciliation de la norme avec une protection efficace de l’environnement implique aussi une gouvernance prospective. Les directions de l’Administration et les ministères ne doivent plus être dans une logique de concurrence ou de parts de marché, mais de complémentarité.
De même, il conviendrait de systématiser le contrôle de durabilité des normes : chaque nouvelle norme devra faire l’objet d’un bilan environnemental cout/avantage en se posant systématiquement la question : est-ce que c’est bon pour les générations futures ?
C’est en offrant des vues élevées, à long terme, sources de concorde et de consensus économique social que les acteurs de la démocratie représentative pourront efficacement reprendre en main la tendance à l’inflation normative et relancer l’économie de manière durable.